« Redresser une copropriété dégradée permet de résoudre le cercle vicieux dans lequel sont enfermés les habitants »

« Redresser une copropriété dégradée permet de résoudre le cercle vicieux dans lequel sont enfermés les habitants »

En France, on estime qu’environ 110 000 logements sont des copropriétés dégradées. Un habitat fragilisé, pris dans une spirale pernicieuse d’impayés et de report de travaux qui finit par présenter un réel danger pour les habitants. CDC Habitat a créé en 2019 une équipe dédiée pour aider les collectivités à sortir de cette impasse. Alexandra Lescaut, sa directrice, explique comment son équipe procède pour accompagner une copropriété.

En 2019, CDC Habitat crée une direction de la rénovation des copropriétés dégradées (DRCD).  Pourquoi cette initiative ?

Celle-ci est née dans la foulée du plan Initiative Copropriétés lancé en 2018 par l’état. Cette démarche partenariale inédite associe l’état et ses opérateurs (ANAH et ANRU), les opérateurs publics fonciers et les bailleurs sociaux, SEM et Sociétés locales d’aménagement pour résoudre le problème des copropriétés dégradées.

Le rôle de la Caisse des Dépôts-Banque des Territoires est essentiel dans ce dispositif. Elle a demandé à CDC Habitat, son « bras armé » chargé du logement, d’intervenir sur ces questions. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une mission d’intérêt général et que l’attente des collectivités est forte.  Nous sommes les seuls institutionnels à avoir fait le choix de créer une direction spécifique avec des experts dédiés à ces questions, ainsi qu’une filiale de portage immobilier spécialisée (CDC Habitat Action Copropriétés).

 Qu’est-ce qui caractérise ces copropriétés ?

Elles sont fragilisées par des problèmes financiers, techniques, sociaux ou de gouvernance. Elles se caractérisent souvent par des populations fragiles, aux revenus faibles, qui peinent à payer les charges, et qui finissent par constituer d’importants volumes d’impayés. Les travaux sont reportés d’année en année jusqu’au moment où surviennent des problèmes d’insalubrité, de vétusté, d’insécurité, etc. Les éléments de sécurité ne sont plus aux normes, les ascenseurs ne fonctionnent plus, etc. Un véritable cercle vicieux pour les copropriétaires qui se trouvent « coincés » dans des appartements qui ont perdu une grande partie de leur valeur et ne peuvent être vendus.

Qu’est-ce qui déclenche l’intervention de CDC Habitat sur une copropriété ?

Nous intervenons à la demande des collectivités, pour des copropriétés en grande difficulté qui rentrent dans le cadre d’un dispositif public de type plan de sauvegarde OPAH, etc. C’est la condition préalable à notre intervention. Ces dispositifs de type OPAH permettent aux copropriétaires d’être subventionnés : en général ils peuvent avoir entre 35 % à 50 % du coût des travaux financés par l’ANAH, plus éventuellement des aides complémentaires des collectivités.

Quels sont les différents scénarios de redressement ?

Deux scénarios sont possibles. Dans le premier cas, le redressement est envisageable. Mais certains propriétaires ont un tel passif d’impayés qu’ils ne peuvent toujours pas, même avec les subventions, payer leur quote-part de travaux. Nous leur proposons alors de racheter leur bien. Ils peuvent ainsi chercher un autre appartement ou rester dans l’immeuble et devenir nos locataires. Nous les accompagnons aussi dans un relogement éventuel dans notre parc si nous disposons d’un logement adéquat.

Ces rachats successifs permettent progressivement d’assainir les comptes de la copropriété, qui peut alors engager les travaux nécessaires à la réhabilitation de l’immeuble…

Et le deuxième scénario ?

Dans certains cas, l’immeuble est trop dégradé et le montant des travaux est supérieur à la valeur vénale de l’immeuble. Nous le rachetons alors intégralement pour pouvoir le démolir ou le recycler, par exemple en le transformant en logements sociaux ou logements étudiants, etc. Toutes ces opérations nécessitent de passer par une déclaration publique et une expropriation.

Quelles sont les difficultés de ces opérations ?

Ce sont des processus très longs, qui engagent plusieurs acteurs. Dans le cadre des plans de sauvegarde ou OPAH, nous participons aux différents groupes de travail sur des sujets comme les aspects techniques, les impayés, le syndic, etc. Ce travail est important, car il nous permet de cibler les logements susceptibles d’être rachetés. Chaque acquisition est mûrement réfléchie, pesée, analysée, discutée.

Le rachat des appartements lui-même prend beaucoup de temps. Nous mettons parfois six mois à acheter un seul appartement, parce que les propriétaires n’arrivent pas à se décider. Nous rachetons les appartements au prix des domaines. Les copropriétaires ont parfois du mal à l’accepter, parce que ce montant leur semble décorrélé avec la valeur de leur appartement. Celui-ci est parfois très joli, bien aménagé…  Ils ne comprennent pas que la dégradation des parties communes fait chuter son prix. Nous devons donc faire preuve de beaucoup de pédagogie, leur faire comprendre que la meilleure solution pour eux est de vendre.

Ajoutons à cela que dans certains cas, les copropriétaires ont des dettes supérieures au prix de vente. Le rachat est alors ralenti, car il nous faut passer par les banques, pour que celles-ci renoncent à une partie de leurs dettes.

Quelle est la durée moyenne d’une opération ?

Le redressement prend toujours plus de temps : entre 10 à 15 ans, dont cinq ans environ, simplement pour les opérations de rachat. Alors que les démolitions durent entre 7 à 8 ans maximum.

Sur quel périmètre intervenez-vous ?

Tous les jours, nous achetons des logements sur l’ensemble du territoire français. Notre direction est basée à Paris avec un pôle assez important en Île-de-France, et plusieurs chefs de projets et chargés d’opération à Marseille, Mulhouse, Lyon, Toulouse et Rouen. Au total, la direction compte aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs, souvent titulaires d’un master en urbanisme. Nous partageons notre expérience d’une copropriété à une autre et nous capitalisons ainsi un savoir-faire précieux sur ces sujets complexes. Nous travaillons aussi en forte collaboration avec les agences du réseau CDC Habitat qui gèrent les logements rachetés.

Pourriez-vous nous donner un exemple de projet sur lequel vous travaillez ?

Saint Etienne du Rouvray est un bon exemple, car nous suivons à la lettre le scénario que nous avions en tête quand nous avons commencé à nous intéresser aux copropriétés dégradées. Il s’agit d’un ensemble de cinq barres d’immeubles de 166 logements construit dans les années 60, caractérisé par des populations très fragiles. Au fur et à mesure que les travaux étaient repoussés, l’immeuble a périclité, devenant dangereux pour les habitants. Nous avons remporté à l’issue d’un appel d’offres une concession d’aménagement. L’immeuble est trop dégradé pour être réhabilité et va être démoli.

Aujourd’hui, nous sommes propriétaires de l’intégralité des logements et nous sommes engagés dans un processus de relogement des habitants. Nous sommes accompagnés pour cela par une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS) : c’est un métier à part entière, nous n’avons pas ce savoir-faire. Et il est important de confier cette mission à un acteur ancré dans le tissu local.

La particularité de ce projet est qu’il n’y aura pas de reconstruction après la démolition. La collectivité souhaite pour l’instant laisser le terrain vierge et prendre le temps de voir comment le quartier va évoluer. C’est un choix plutôt sage : si l’on reconstruit un immeuble trop vite alors que le quartier n’est toujours pas attractif, cela risque d’être un échec.

Trois ans après le début de cette activité, quel bilan global peut-on faire de votre activité ?

A la mi-2023 nous avions signé trente contrats avec des collectivités, dont trois concessions d’aménagement (à Marseille pour le parc Corot, à Saint-Etienne-du-Rouvray pour la copropriété Robespierre et à Epinay-Sur-Seine pour la copropriété Obélisque) et 27 conventions d’urgence. Nous intervenons sur onze des 16 sites nationaux prioritaires du plan gouvernemental Initiatives Copropriétés.

Ces 30 contrats représentent un total d’environ 2 000 logements à acquérir. Actuellement, nous en avons acquis 894, dont 434 par CDC Habitat Social et 460 par CDC Habitat Action Copropriétés.

Quelle est la différence entre une convention et une concession d’aménagement ?

Traiter une copropriété dégradée suppose d’avoir remporté, dans le cadre d’un appel d’offres, une concession d’aménagement. C’est notamment la condition préalable pour pouvoir exproprier. Mais organiser un appel d’offres prend du temps. Et parfois, la copropriété est dans une telle situation qu’il y a urgence à agir. C’est le cas notamment quand l’immeuble est squatté, exploité par des marchands de sommeil, avec de graves problèmes d’insalubrité et d’insécurité. Dans ce cas, il faut intervenir vite et commencer à racheter les appartements sans attendre la signature de la concession.

Aussi, nous mettons en place des conventions d’urgence, qui ont une durée plus courte que les concessions d’aménagement (en général 3 ans), sur un plus petit volume de logements. CDC Habitat les rachète, la collectivité a le temps de préparer l’appel d’offres.  Une fois que le concessionnaire est choisi, CDC Habitat Social revend les logements vers le concessionnaire. Si nous gagnons l’appel d’offres, c’est CDC Habitat Action Copropriétés qui entre en jeu. Si ce n’est pas le cas, c’est un autre acteur.

Comment les collectivités territoriales perçoivent-elles votre action ?

Le fait que nous ayons mis en place une équipe dédiée à ces questions est très apprécié. Notre professionnalisme est reconnu. Les collectivités savent que nous allons leur donner des orientations concrètes pour prendre des décisions stratégiques. Notre deuxième point fort est l’assise financière de la Caisse des Dépôts-Banque des Territoires, qui nous a alloué une enveloppe financière. Concrètement, nous pouvons commencer à racheter des logements le temps que la collectivité s’organise et mette en place le versement d’une participation. Cela permet d’être très efficace.

Quelle est la position des collectivités territoriales par rapport aux copropriétés dégradées ? Sont-elles nombreuses à s’emparer de ces questions ?

C’est une question assez compliquée pour elles. Politiquement, il est difficile de prendre par exemple la décision de démolir un immeuble. Par ailleurs, le traitement des copropriétés dégradées a un coût financier. Il s’agit d’un parc privé… Il y a quelques années, le premier réflexe des élus, était de dire « pourquoi mettre autant d’argent dans des logements privés ? ».

Leur position a néanmoins beaucoup évolué sur cette question. Les collectivités ont compris aujourd’hui qu’on ne pouvait pas avoir des copropriétés dégradées en tel décalage avec leur quartier, requalifié grâce à l’ANRU. Aujourd’hui, les métropoles ne sont pas les seules à s’occuper de ces questions, même les petites villes s’en emparent.

Les catastrophes comme l’effondrement de l’immeuble de la rue d’Aubagne ont-accéléré cette prise de conscience ?

Probablement, car le cas de la rue d’Aubagne n’est pas isolé. Reste que pour une collectivité, il faut un certain courage politique pour prendre un arrêté d’évacuation d’un immeuble considéré comme dangereux. Le cas s’est produit il y a un an sur une copropriété de 120 logements, située à Epinay-sur-Seine, pour laquelle nous avons gagné une concession d’aménagement. L’immeuble avait dû être évacué car les balcons présentaient un risque d’effondrement. C’est une décision compliquée à prendre. Les appartements étaient agréables, spacieux, traversants. Il était difficile d’imaginer, à vue d’œil, qu’il était dangereux d’y vivre. Pourtant, le danger était là, nécessitant une intervention rapide…