Questions à M. Karim Bouamrane : « Paris 2024 a été un formidable accélérateur pour notre territoire. »

Pour Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen-sur-Seine, les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ont permis de gagner plusieurs dizaines d’années dans la transformation de la ville. Tout en préservant l’âme d’une ville de mélange et brassage, aux antipodes du modèle de gentrification.

Saint-Ouen semble vivre aujourd’hui un moment clef de son histoire, avec une accélération extrêmement rapide de sa transformation. Qu’est-ce qui, à votre avis, a été décisif dans cette mutation ?

Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ont été un formidable accélérateur pour notre territoire. Ils nous ont permis de réaliser en quelques années ce que nous aurions mis des décennies à réaliser. Mais notre objectif a toujours été d’améliorer la vie des gens en agissant sur la qualité du logement, sur l’apaisement de l’espace public, une meilleure offre de santé et meilleure desserte de transports… Il ne s’agit pas à proprement parler d’une transformation urbaine, mais d’une amélioration de la vie de celles et ceux qui habitent à Saint-Ouen.

Plus précisément, quel rôle jouent Paris 2024 et le Village Olympique dans la transformation actuelle et future de Saint-Ouen ?

Paris 2024 doit d’abord être une fête pour toutes les habitantes et tous les habitants et montrer au monde notre hospitalité et notre passion pour le sport. Ensuite, ils demeureront un bénéfice durable pour la population avec des infrastructures sportives rénovées, des espaces publics repensés et un état d’esprit positif qui infusera longtemps. Et nous hériterons d’un nouveau quartier qui correspond actuellement au Village Olympique. Je suis né à quelques mètres de ce nouveau quartier où nous avons récemment inauguré la rue du Dr. Socratès : il n’y avait rien, si ce n’est des immeubles délabrés. Aujourd’hui, ce quartier sera un quartier de vie, d’activités, de commerces, avec des écoles, des centres de santé, des services publics, à deux pas de la Seine vers laquelle nous nous tournons de plus en plus.

Le département de la Seine-Saint-Denis et notamment Saint-Ouen sont souvent présentés comme les grands gagnants de Paris 2024. On avance notamment le chiffre de 80% des investissements publics réalisés dans le 93). Partagez-vous ce sentiment ?

La question n’est pas de savoir si nous avons gagné par rapport aux autres territoires, mais ce que nos populations ont gagné. La Seine-Saint-Denis est le département le plus pauvre de France, avec une sous-dotation chronique en services publics, en infrastructures sportives, avec des difficultés à donner un espoir aux nouvelles générations ; les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 renforcent notre capacité à nourrir cet espoir. Voilà notre principal héritage.

Quelles ont été vos exigences par rapport au projet du Village Olympique ?

Dès notre arrivée aux responsabilités, nous avons tenu à ce que le futur quartier soit équilibré du point de vue des usages entre les logements, les espaces verts, les services publics…Nous sommes notamment intervenus pour renforcer la végétalisation du quartier contre la volonté initiale de privilégier le bâti, parce que c’est un prérequis pour créer des conditions de vie favorables face à l’urgence climatique.

Au final, quel regard portez-vous sur ce futur quartier ?


Je suis certain que ce nouveau quartier s’insèrera dans le tissu urbain qui est en train de se créer entre le Vieux Saint-Ouen et le quartier Pleyel dont la gare sera opérationnelle au moment de la compétition. Notre enjeu, c’est de créer de la continuité territoriale à l’échelle de nos villes pour éviter que les quartiers ne vivent en vase clos. Pour cela, il faut répartir à l’échelle du territoire les différents points d’attraction, et c’est par exemple ce qui explique le succès de la Halle Gourmande qui attire bien au-delà du quartier des Docks… Je suis certain que nous y parviendrons avec le Village Olympique et que la ville de demain, mixte, adaptée à l’urgence climatique, adaptable et réversible, se construit par la fluidité des échanges entre les anciens et les nouveaux quartiers.

Quelles nouvelles dynamiques ce nouveau quartier va-t-il mettre en œuvre ? S’agit-il d’une forme de réparation d’un territoire tombé dans une certaine déshérence par la désindustrialisation et les coupures urbaines ?

Plutôt que de réparation, je parlerais de réinvestissement. Ce que nous appelons de nos vœux, c’est à la concrétisation de la promesse républicaine d’égalité, et donc d’égalité territoriale. Avec ces nouvelles infrastructures, en misant sur le beau, sur les transports, on rééquilibre l’équation périphéries/hypercentres et on dit à toutes celles et ceux qui pensaient que la République les avait abandonnés que le progrès est possible. On apporte un espoir.

Vous avez évoqué en début d’interview que Saint Ouen se tournait « de plus en plus vers la Seine ». C’est un aspect important du projet ?

Nous voulons en effet reconquérir les berges, proposer des navettes fluviales pour permettre de se déplacer sur le fleuve. C’est un immense enjeu : après des années passées tournées vers le périphérique, vers Paris, nous reprenons possession de notre patrimoine naturel. C’est le sens de ce que nous faisons l’été, avec l’Eté audonien dont nombre d’activités se déroulent sur les berges. C’est aussi le sens de la réfection de l’Ile-des-Vannes et de sa nef Lucien Belloni : faire de nos bords de Seine un pôle d’attraction à échelle nationale sur les plans sportif, culturel, gastronomique, festif…

Après les Docks, le Village Olympique peut faire craindre une trop grande gentrification de Saint-Ouen. Que faites-vous pour que Saint-Ouen reste une ville populaire ?

J’ai coutume de dire que toutes celles et ceux qui viennent habiter à Saint-Ouen ont un lien sur une ou deux générations avec le peuple. C’est ce que j’appelle l’élite populaire. Notre vision, c’est que toutes les Audoniennes et tous les Audoniens, quels que soient leur âge, situation professionnelle, statut social, orientation sexuelle, rapport à la religion, genre et nombre d’années passées à Saint-Ouen puissent avoir accès aux mêmes opportunités. C’est l’essence même de notre politique qui est une politique fraternelle et donc populaire. Outre nos exigences en matière de mixité sociale au moment de bâtir, quand nous avons bénéficié de l’ANRU, nous avons négocié une clause pour garantir que 100% des relogements se feraient dans Saint-Ouen : notre but est donc de conserver la population et de permettre le mélange et le brassage, ce qui est contraire à l’idée de gentrification.

Après le Village Olympique, vous reste-t-il des réserves de foncier ou micro foncier pour construire la ville sur la ville, conformément à l’impératif de sobriété foncière ou est-ce la dernière grande opération urbanistique ?

Nous avançons avec les nouvelles zones des Docks et cette transformation devrait prendre fin en 2030 ; nous aurons alors presque doublé de population en 20 ans, nous disposerons d’un centre hospitalo-universitaire en plein centre-ville, nous aurons commandé la réfection de tous les quartiers et terminé nos opérations ANRU. D’ici là, nous travaillons projet par projet avec les élus et tous les services pour faire en sorte que tout ce que nous mettons en œuvre bénéficie au plus grand nombre