« Le but de l’accompagnement social,  c’est de faire avec la personne et non de faire à sa place » 

« Le but de l’accompagnement social,  c’est de faire avec la personne et non de faire à sa place » 

Florence Ferrere, conseillère en économie sociale et familiale à Lyon, Léa Mougeolle, chargée de développement social urbain à Bordeaux, et Laurie Pelagie, conseillère en économie sociale et familiale en Martinique, nous racontent comment elles aident les personnes en difficulté sociale et psychique à mieux vivre, dans leur vie et dans leur logement.  

Léa Mougeolle 

Chargée de développement social urbain et référente sûreté à la direction de la gestion locative de CDC Habitat Sud-Ouest 

Mon métier est de créer du lien social avec les locataires. Pour cela, il faut à la fois faire des diagnostics, développer des projets et répondre à leurs besoins. Je mets également en place des partenariats avec des structures sociales et médico-psychologiques dans le cadre d’un maillage partenarial. Et puis je peux aider ponctuellement des résidents lors d’un relogement si un bâtiment doit être détruit. C’est là que je peux être confrontée aux personnes en situation de handicap, physique et psychique. 

Laurie Pelagie 

Conseillère en économie sociale et familiale de la SIMAR,  
filiale martiniquaise de CDC Habitat   

Nous sommes trois conseillères sociales sur le territoire de la Martinique, reparties par agences : nord, centre et sud. Je suis chargée de l’agence nord et mon action principale est d’aider les familles en difficulté et en situation de précarité à se maintenir dans leur logement. Pour cela, je participe sur le plan social au recouvrement des impayés en identifiant les causes afin de mettre en œuvre les moyens appropriés. Aussi, j’assure un accompagnement social  personnalisé auprès des locataires qui présentent des difficultés… Notamment, des troubles de santé mentale.    

Florence Ferrere 

Conseillère en économie sociale et familiale de CDC Habitat Auvergne-Rhône-Alpes 

Je vais à la rencontre des locataires dont la situation est compliquée pour analyser comment les aider. Lorsque c’est nécessaire, je sollicite des partenariats externes. Je travaille donc à développer ces partenariats avec par exemple les Maisons de la Métropole[1], les conseils locaux de santé mentale[2]… Et puis je gère les troubles de voisinage. C’est bien souvent dans ce cadre-là que nous nous rendons compte des difficultés des personnes ayant des problèmes de santé mentale, psychiques et moteur.  

« Notre objectif est de garder le locataire dans son logement. De travailler avec lui, de le sécuriser et de l’accompagner au mieux pour lui permettre de limiter ses angoisses et de vivre paisiblement chez lui. »

Léa Mougeolle 

Pourquoi et comment intervenez-vous auprès des locataires ? 

FF : Le plus souvent, nous sommes avertis par le gardien de l’immeuble, par l’un des services de CDC Habitat ou par le courrier d’un voisin qui nous prévient qu’un habitant semble avoir un comportement inhabituel. À ce moment-là, nous lui rendons visite pour savoir comment il va, ce qu’il vit. S’il a de la famille, un curateur ou un tuteur, nous les rencontrons.  

Parfois, une situation nous arrive un peu comme un diamant brut… Nous ne savons pas comment l’aborder car nous ne voulons jamais brusquer la personne en difficulté. Le but est d’aller à son rythme, d’avancer avec elle. Alors, avec son accord, c’est toujours elle qui décide, nous mobilisons au maximum les partenaires… La situation est prise en charge de façon anonyme dans le cadre d’un maillage médico-social qui émet des avis et des priorités d’action. Puis nous proposons à la personne un accompagnement global. Si elle accepte, je prends rendez-vous avec le centre médico-psychologique[3] et les équipes sociales et de soin. Elle est ensuite hospitalisée ou soignée à domicile. 

Nous travaillons aussi avec Intermed, un réseau associatif composé de binômes, un infirmier et un psychiatre, qui vont chez les personnes en grande fragilité. Ils essaient de les amener vers des premiers soins ou de les inciter à les reprendre si elles ont cessé de les suivre. L’appui d’Intermed, avec son approche médicale, est très important pour compléter notre vision sociale. Nous échangeons très souvent avec eux, cela permet de faire bouger beaucoup de situations.  

LP : Une personne atteinte d’un trouble mental peut rester des années dans son logement sans qu’on ne la remarque.  Puis un jour, elle présente un comportement inhabituel. Cela peut se traduire, par exemple, par une attitude violente envers elle-même, ou envers ses voisins. Je suis informée par le gardien ou par le responsable d’antenne et c’est ainsi que je rentre en contact avec le locataire et/ou sa famille. Je le convoque ou je vais à son domicile, je me renseigne pour savoir s’il a déjà eu des difficultés et s’il est connu des partenaires sociaux.  

Souvent, il arrive que la personne soit en rupture de soins. Mon rôle est donc de l’accompagner en la mettant en relation avec les différents partenaires sociaux (centre médico-psychologique, centre communal d’action sociale, CAF, collectivité territoriale, etc.), pour qu’elle puisse retrouver son équilibre.  

Si la situation est plus complexe, nous missionnons l’ALS, l’association pour le logement social, sur la base d’une fiche de mission qui détaille nos attentes. L’ALS est une structure qui a été créée par la SIMAR et la Société martiniquaise d’HLM, qui mutualise les moyens humains et financiers dans l’accompagnement social et médico-psychologique. Accompagnée d’une équipe médicale, elle peut poser un diagnostic et proposer des solutions médicales adaptées. Si bien sûr la famille accepte, puisque c’est un contrat signé entre les deux parties. Son soutien, est très important car le domaine de la santé mentale est extrêmement délicat. Sa présence rend les relations beaucoup plus fluides. L’ALS nous tient toujours informés de l’évolution des situations et nous pouvons statuer sur la suite à donner grâce à des échanges réguliers, des réunions et des comptes rendus d’intervention.  

LM : De manière générale, un déménagement est générateur de stress. Alors accompagner le relogement d’un locataire en situation de handicap demande des échanges plus nombreux pour identifier ses besoins et limiter au maximum cette source d’angoisse. Le logement doit être adapté à des problématiques du handicap comme par exemple une douche plutôt qu’une baignoire, et il faut faire attention à l’environnement extérieur : transports en commun à proximité, largeur et état des trottoirs… Certaines choses peuvent nous sembler anodines, alors qu’elles sont de vraies contraintes pour la personne. J’ai suivi par exemple une dame polyhandicapée qui ne pouvait pas supporter le bruit de la VMC.  

Mon rôle est aussi de rappeler les démarches à réaliser en amont du déménagement (ouvertures des compteurs, assurance…), de m’assurer que tout est prêt le jour J, et ensuite que le locataire est bien relogé. 

« Parfois le voisinage nous demande d’intervenir vite, mais ce n’est pas possible. Tout se passe sur un temps extrêmement long, celui dont la personne a besoin pour avancer. Cela ne se fait pas en deux mois, plutôt sur un ou deux ans. »

Florence Ferrere

Quel est l’objectif d’un bailleur social quand il prend en charge ce type de problématiques ? 

LM : Notre objectif est de maintenir le locataire dans son logement et surtout qu’il s’y sente bien. De le sécuriser et de l’accompagner au mieux, pour lui permettre de limiter ses angoisses et de vivre paisiblement chez lui. Ce sont souvent des personnes isolées. Donc, nous essayons de recréer un lien pour qu’elles se sentent mieux et que tout se passe bien dans le logement. 

LP : C’est aussi une volonté de la SIMAR de vouloir aider au mieux les locataires à se maintenir dans leur logement. Ce sont des familles en difficulté sociale, des familles en détresse qui arrivent parfois dans l’urgence. Nous travaillons sur leur intégration dans les lieux et nous les suivons, quelle que soit leur situation. D’où nos différents partenariats, et la création de l’ALS pour accompagner au mieux les personnes notamment, ceux présentant des troubles mentaux. Ce qui est de plus en plus fréquent, sans doute dû aussi au fait que la population est vieillissante.  

FF : Je me souviens d’un homme qui est décédé aujourd’hui… J’étais la seule à qui il acceptait de parler, cela me touchait beaucoup… Il se sentait tout le temps persécuté. Il m’expliquait que des camions poubelles venaient à deux heures du matin pour rejeter des gaz dans son logement via les aérations. Il pensait que ses voisins avaient mis des caméras chez lui pour le surveiller. Un jour, je suis allée les voir pour savoir comment ça se passait, s’ils lui parlaient de temps en temps. En fait, il n’était connu de personne. Il vivait tranquillement, mais ça n’allait pas dans sa tête. Et c’était sans espoir, même avec des médicaments. Au départ, il parlait très bien, il était toujours en costume, sa maladie était plus ou moins stabilisée. Et puis je ne sais pas ce qui s’est passé dans sa vie, il a arrêté de prendre soin de lui. Ses soucis psychologiques lui pesaient beaucoup, il ne dormait plus, il maigrissait à vue d’œil. 

Du coup, notre objectif a été de nous assurer qu’il maintenait le lien avec l’équipe médicale et qu’il suivait son traitement, et de gérer parfois ses démarches administratives pour qu’il ne soit pas encore plus en difficulté.   

« Dès l’entrée dans les lieux si nous sentons une famille en difficulté, nous nous rapprochons d’elle pour savoir si elle a de la famille qui peut aussi l’entourer. »

Laure Pelagie

Vous êtes confrontées à des situations complexes : comment le vivez-vous ? 

LM : C’est quelquefois difficile humainement… Nous pouvons nous sentir démunis et quand je rentre le soir, j’y pense toujours… La pandémie a isolé encore plus ceux qui étaient déjà très seuls, ce qui a augmenté les problématiques de santé mentale. Nous avons appelé les personnes fragiles et les personnes âgées pendant le confinement, et nous avons vu encore plus de fragilité sociale.   

LP : J’apprends à m’adapter… mais ce qui est difficile, c’est d’aller à la recherche de nouvelles solutions. Le choix est limité sur l’île en termes d’association médico-social. Alors nous essayons de temporiser, de traiter les urgences. Mais si une personne doit rester dans un logement autonome alors qu’elle serait mieux dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale [4], je reste très présente ainsi que toute l’équipe de proximité. Nous y mettons une attention toute particulière afin que le locataire se sente accompagné et encadré. Cela, en pensant aussi aux autres locataires, car un locataire en difficulté peut créer des nuisances sans le vouloir. Ces nuisances ont des répercussions sur l’environnement, sur la résidence, sur les autres voisins qui, eux aussi, ont besoin d’écoute…  

FF : Quand une situation me préoccupe, j’échange avec mon directeur d’agence. Je peux lui exposer les situations compliquées, et nous regardons ensemble les priorités, qui nous pourrions appeler, etc. Nous portons parfois des moments assez émouvants, et nous n’arrivons pas à nous déconnecter. Nous nous demandons comment faire pour que tel résident soit accompagné au mieux et très rapidement, parfois nous aimerions avoir plus de retours des partenaires, ce qui n’est pas toujours le cas pour des raisons de secret professionnel. Nous le comprenons très bien, sauf que notre accompagnement ne peut pas être complet sans au moins quelques informations essentielles. Tout cela continue à cheminer, et ce malgré nous. Mais voilà… C’est aussi cela qui fait que nous avons choisi ce métier, je pense… 

Nous sommes là pour aider les personnes à garder leur place dans la société 

Le but de l’accompagnement social est de faire avec la personne, à son rythme. Parce qu’elle doit définir ses objectifs et son projet de vie pour essayer d’aller mieux. Et nous sommes là pour qu’elle puisse atteindre cet objectif. C’est ça, notre travail. Ce n’est pas faire à sa place. Et ça, c’est très important. Même si ce serait tellement plus simple. Mais si nous agissons à sa place, elle n’aura justement plus sa place. Et nous, nous cherchons à ce qu’elle garde cette place dans la société. Souvent, les gens manquent de confiance en eux. Ils me disent qu’ils ne savent pas faire… Alors je leur réponds : « Eh bien c’est votre première fois, on va le faire ensemble ! » Nous ne sommes pas là pour les minimiser, au contraire, nous sommes là pour leur montrer qu’ils sont capables d’agir, malgré les difficultés. Même si cela prend une semaine au lieu de deux heures… 

Florence Ferrere 

[1] Les Maisons de la Métropole pour les solidarités sont un service social de proximité lyonnais. Leurs missions : prendre soin des tout-petits, organiser le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes, aider les plus démunis à surmonter les difficultés 

[2] Un conseil local en santé mentale (CLSM) est un lieu où se retrouvent les acteurs concernés par la question de la santé mentale : élus, psychiatrie, représentants des usages, aidants et professionnels du territoire 

[3] Les centres médico-psychologiques (CMP) proposent des consultations médico-psychologiques et sociales à toute personne en difficulté psychique. Ils regroupent des soignants (médecins psychiatres, psychologues cliniciens, infirmiers, orthophonistes, psychomotriciens…) et des travailleurs sociaux (assistants de service social, éducateurs…) 

[4] Les centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ont pour mission d’assurer l’accueil, le logement, l’accompagnement et l’insertion sociale des personnes ou familles connaissant de graves difficultés en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale