Village des athlètes : relever le pari de la ville réversible

En Seine-Saint-Denis, le village des Athlètes accueillera dans un premier temps les athlètes et para-athlètes, puis quelques mois après les compétitions, des familles, des étudiants… dans un nouveau quartier de ville comptant 2 800 logements. Alexandre Jonvel, architecte urbaniste associé fondateur de l’agence CoBe, et François Guynot, directeur de son pôle architecture, racontent comment ils ont relevé le défi.  

Quel rôle l’agence CoBe a-t-elle joué dans le projet du village des athlètes ?

Alexandre Jonvel : Notre agence s’est impliquée dans ce projet à double titre. D’un côté, nous avons coordonné le projet urbain du lot E, qui correspond à la partie du village qui s’articule entre le quartier du Vieux Saint-Ouen et le futur Hub Pleyel. Nous sommes intervenus au stade du concours, pour monter une équipe d’architectes à la demande du groupement Nexity, Eiffage, CDC Habitat et Groupama. Ce quartier comptera 525 logements, bureaux, commerces et services, dont une crèche, un fab lab, un terrain de basket, etc. Parallèlement à cette mission de coordination, nous avons été architectes de trois bâtiments.

Quelle est la particularité de ce projet ?

A.J. : Ce type de projet est toujours passionnant à réaliser, car il est marqué par une volonté forte d’innover, de faire la démonstration de ce que peut être la ville du futur. Ce qui m’a séduit dans ce projet, c’est qu’il rompt avec les démarches précédentes, comme celle de Tokyo, conçues comme des vitrines technologiques. Le Village des Athlètes en Seine-Saint-Denis se démarque par une volonté d’exprimer pleinement l’approche du « bon sens » dans l’aménagement du territoire. Or ce savoir-faire de « fabrique de la ville » est justement une expertise française reconnue depuis Hausmann, et même avant lui.

La dimension réversibilité du projet était aussi quelque chose d’inédit en France?

François Guynot : Pour la première fois en effet, on a demandé à des architectes d’imaginer une construction neuve pour deux temps, deux usages différents, pour la compétition et l’accueil des sportifs dans un premier temps, puis pour un usage résidentiel classique ensuite, avec les conséquences techniques, architecturales que cela suppose. Il fallait concevoir un bâtiment adapté aux athlètes (c’est-à-dire avec beaucoup de parties communes, pas de cuisine, car les athlètes ne préparent pas leurs repas), qui, pourrait par la suite facilement muter pour accueillir des familles, des étudiants, etc. C’était un exercice tout à fait nouveau pour un architecte. Nous avons cumulé les nouveautés : des permis à double état, des assurances pour la phase de la compétition et après, etc.

Quels ont été vos partis pris ?

F. G. : Nous avons articulé cette réversibilité avec une forte exigence de sobriété carbone, un marqueur fort du projet puisque les organisateurs souhaitaient diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre de l’évènement.
Dans cette perspective, le Village des Athlètes se devait d’être un démonstrateur de la ville bas carbone et la réversibilité a fait partie de cette ambition : celle-ci pérennisera les bâtiments à travers le temps, en les rendant facilement adaptables à l’évolution des usages futurs. Cela va dans le sens de la sobriété énergétique et foncière, puisque cela évite de démolir, reconstruire, artificialiser encore plus les sols, gaspiller des matériaux, etc.

Quelles sont les techniques, les matériaux utilisés pour rendre un bâtiment réversible ?

A.J. : La meilleure réversibilité est la réversibilité minimale, celle qui engage le moins de transformation lorsqu’on change d’usage : on garde la structure, l’enveloppe de l’immeuble, on ne bouge qu’un ou deux éléments à l’intérieur pour adapter l’appartement. La solution adoptée consiste dans des poteaux poutres répartis sur tout le bâtiment, au lieu de longs porteurs linéaires, qui permettent de moduler l’espace. Lors de la transformation de l’appartement, on ne démolit pas les cloisons, on les déplace, on en rajoute : on peut ainsi facilement rajouter une cuisine là où il n’y en avait pas.

La meilleure réversibilité est la réversibilité minimale, celle qui engage le moins de transformation lorsqu’on change d’usage.

Alexandre Jonvel

Quels sont les matériaux utilisés ?

F.G. : Le principe est d’utiliser le bon matériau au bon endroit, dans une optique de frugalité. Nous avons recouru à la fois au béton bas carbone et au bois, en utilisant les atouts de chacun. Nous avons exploré beaucoup de pistes, car nous n’avions aucune idée préconçue sur le matériau à utiliser. Nous avons pensé à un moment au béton de chanvre, auxquelles nous avons renoncé, en raison de contraintes techniques très fortes. Dans la morphologie du projet initial dessiné par Dominique Perrault, étaient prévus des bâtiments R + 10 et R+ 5. Cela supposait de moduler les techniques : bâtiments avec ossature béton bas carbone pour les R + 10, ossature bois avec poteaux poutres en bois et remplissage avec des matériaux biosourcés et dalles en béton pour les R + 5. Pourquoi les dalles en béton ? Parce que le bois a un inconvénient, il n’est pas très performant en acoustique.

Le travail sur la réversibilité, au-delà des matériaux et des techniques, c’est aussi faire en sorte que ce village dédié aux athlètes devienne après la compétition un véritable quartier où il fait bon vivre ?

A.J. : Bien sûr, c’est l’essence même du projet et c’est le principal défi de ce type de projet, conçu pour une compétition. Il se trouve que ma femme est grecque. J’ai donc pu constater l’échec total d’Athènes de ce point de vue. Après 2004, les ouvrages ont été abandonnés, mal utilisés… Un échec catastrophique écologiquement et économiquement, car beaucoup d’argent public a été investi sans que cela la population en tire un quelconque bénéfice. Cela pèse encore aujourd’hui sur la fiscalité grecque, le coût est amorti sur plusieurs générations, c’est énorme. Athènes est le contre-exemple, mais Londres est une réussite, le quartier olympique est devenu un vrai quartier, Barcelone aussi.

Et pour Paris ?

A.J. : J’ai le sentiment que la France a évité tous ces travers. Les organisateurs ont réalisé très peu de nouveaux ouvrages et ont tiré parti de l’existant, en profitant de cet événement pour rénover les équipements et enrichir l’offre là où la population en avait le plus besoin, en Seine-Saint-Denis (notamment avec le centre aquatique olympique de Saint-Denis).
Dans notre projet, nous avons véritablement pensé la réversibilité dans tous ses aspects, y compris au niveau des parkings. Quel sera l’usage de la voiture dans 20, 30, 50 ans ? Impossible de le prédire… Il nous fallait donc rendre les parkings en sous-sol facilement mutables, notamment en permettant que la lumière naturelle y pénètre grâce à un système de trémie (*).

En quoi ce nouveau quartier de ville que vous avez contribué à faire naître préfigure-t-il la ville de demain ?

A.J. : Les logements, tout d’abord, sont particulièrement qualitatifs et résilients face au changement climatique. Ils sont conçus pour apporter un confort d’été, sans climatisation. Ils sont donc tous très bien orientés et traversants, dotés de façades extrêmement étanches, de fenêtres isolantes : on peut capter la fraîcheur nocturne et l’enfermer pendant la journée pour rafraîchir les appartements. Autre détail important, les hauteurs sous plafond. Avec le système de poteaux poutres en bois, pour le bâtiment R+ 5, on obtient une hauteur de 2 m 70, 2 m 80, au lieu des 2 m 50 habituels avec un bâtiment en béton. Cela donne une impression de plus grande générosité, de confort. Même dans une chambre de 11 m 2, on respire… Mais de surcroît, ce n’est pas neutre en termes de confort d’été. C’est bien connu, l’air chaud monte. Plus le plafond est haut, plus le tapis d’air chaud est loin de nos têtes ! Là aussi, c’est une question de bon sens, et un savoir ancestral. Dans les pays chauds et humides, les hauteurs sous plafonds sont généreuses, justement pour gagner quelques degrés en moins…

Qu’est-ce qui a été prévu d’un point de vue paysager ?

A.J. : Pour réaliser ce projet, nous étions associés à l’atelier Georges, architecte et paysagiste. Pour une meilleure résilience face au réchauffement climatique, leur projet mise sur la climatisation naturelle via la végétation, grâce à des strates successives qui vont de la prairie sauvage, au jardin vertical et suspendu, en passant par des jardins comestibles.
En combinant cet effet avec des astuces architecturales, comme les panneaux photovoltaïques orientés de façon à faire de l’ombre, nous parvenons à rendre ce morceau de ville agréable en période de fortes chaleurs, sans faire appel à la climatisation.

Le Village des Athlètes se voulait démonstrateur de la réversibilité et de la ville durable. Pensez-vous qu’il a relevé le pari ?

A.J. : Il a incontestablement marqué un tournant majeur de bascule, de bifurcation dans la manière de concevoir les villes, en mettant l’accent sur la décarbonation, la frugalité, la résilience. Depuis, tous les projets que nous menons vont dans ce sens. Nous sommes urbanistes du quartier Confluence à Lyon, et nous réutilisons les techniques développées pour le Village des Athlètes. Partout, le béton bas carbone se généralise, le recours au bois, également. Ce projet a démontré la faisabilité de ces nouvelles approches de la construction et il a joué un rôle important dans la structuration de la filière bois. 80% du bois structurel du projet provient des forêts françaises…

*trémie : une espace libre créé entre deux étages permettant de laisser passer la lumière naturelle.