Une forêt fraîche en plein cœur du Village des athlètes

Peut-on réconcilier nature et ville ? Créer une forêt fraîche et sauvage dans un quartier d’habitation, amenée à évoluer selon le tempo de la flore et la faune et à accueillir mammifères, reptiles, oiseaux et insectes ?  Andras Jambor, paysagiste et responsable du pôle maîtrise d’œuvre de l’agence TN+ a relevé le défi au sein du Village des athlètes.

Vous avez-conçu la forêt fraîche au cœur du Village des athlètes. En quoi consiste ce projet ?

Nous avons imaginé un jardin-forêt au cœur des Quinconces, un quartier d’habitation du Village des athlètes réalisé par le groupement Icade, Caisse des Dépôts et CDC Habitat. C’est rare de pouvoir imaginer un jardin de cette ampleur entouré de murs, à l’image de l’« hortus conclusus » (le jardin clos en latin) qui correspondait à l’idée que l’on se faisait du paradis au Moyen-Âge.

Ce projet reflète parfaitement le credo de TN+ : ville et nature ne sont pas antinomiques, on peut les réconcilier notamment en s’inspirant de la seconde. Dans la nature, on voit bien que la végétation s’adapte à des configurations variées. En montagne, les prairies prospèrent sur de très fines couches de terre. Sur les falaises calcaires, les plantes profitent de la moindre anfractuosité pour se développer. La ville et les immeubles, de la même manière peuvent constituer un substrat fertile pour la nature, à condition que le quartier soit pensé ainsi dès le départ. Or c’est justement la démarche que nous avons adoptée avec ce jardin-forêt.

Comment l’idée est-elle née ?

Nous sommes partis du plan initial de Dominique Perrault pour le Village des athlètes, qui imaginait des bâtiments navires en lien avec la Seine. Le jardin a été conçu comme un morceau de paysage francilien amené par une péniche, telle une arche de Noé, déposant ici son îlot refuge de biodiversité végétale et animale…

L’image est onirique, voire utopique, mais en même temps très concrète. Cela supposait de reconstituer un échantillon d’une forêt d’Île-de-France en s’inspirant de la végétation des ripisylves* boisés des côteaux de la Seine. Parmi nos inspirations, on peut évoquer une des œuvres du land-artiste américain Robert Smithson, qui avait imaginé apporter un morceau de la forêt primitive de Manhattan au cœur de la ville par bateau.

Quel type de végétation y retrouve-t-on ?

Trois univers différents coexistent : le cœur de forêt, la lisière et la prairie. Chacun apporte quelque chose de spécifique. Le cœur de forêt est un lieu de calme, de promenade, d’observation de la nature. La lisière présente un grand intérêt en termes de biodiversité. Il y a beaucoup de lumière, et elle se situe à la rencontre de deux milieux, la forêt et la prairie, ce qui attire une très grande diversité d’espèces. C’est ici que nous avons concentré des usages actifs du voisinage (barbecue, tables de piquenique, potagers, terrain de jeu). Les prairies se retrouvent tout en haut des tours et restent inaccessibles à l’homme, offrant un refuge, entre autres, aux oiseaux migrateurs qui suivent les méandres de la Seine.

D’où viennent les arbres ? S’agit-il exclusivement d’espèces propres à la région ?

Le site est relativement étroit, avec 22 mètres de large sur 160 mètres de long. Nous avons donc dû retenir des espèces de moyen développement au feuillage léger (peuplier tremble, bouleau, aulne, sorbier, merisier, érable champêtre) et quelques arbres de plus grande taille, comme les charmes, le chêne chevelu, l’érable, le tilleul.

La très grande majorité des espèces sont indigènes, et possèdent le label végétal local, qui garantit que les spécimens ont été semés, plantés et élevés dans la région, à partir des plantes mères locales. C’est un label exigeant et complet, qui préserve la biodiversité francilienne et garantit une meilleure adaptabilité des plantes aux conditions locales. Celles-ci sont riches d’un capital génétique indigène qui leur permet de mieux résister au climat, aux nuisibles, aux invasifs et insectes de la région.

Pour renforcer la résistance du cortège végétal face au changement climatique, nous avons également planté des essences venant du sud de la France, comme l’érable de Montpellier, le romarin, le lavandier et le figuier. Et nous avons remplacé le chêne sessile francilien par le chêne chevelu, davantage adapté au climat à venir, plus aride.

Et pour le sol ? d’où proviennent les terres ?

Il y a dix ans, pour donner le jour à un jardin en ville, on n’hésitait pas à prendre la terre des champs agricoles. Bien sûr, il était hors de question d’agir ainsi aujourd’hui… Nous avons donc recouru à deux stratégies différentes. D’un côté, nous avons recyclé la terre d’origine du site. Couverte de béton durant des décennies, elle était devenue inerte. Nous l’avons confiée à une entreprise spécialisée qui l’a revivifiée avec des micro-organismes, des bactéries, des champignons, en la faisant murir pendant plusieurs mois pour obtenir un substrat riche et fertile mélangé ensuite à des granulats, pour plus de porosité. Cette terre ainsi régénérée s’appelle « anthroposol ». Et d’un autre côté, nous avons regénéré des déblais inertes provenant d’autres chantiers, destinés, au départ, à la déchetterie.

Pourquoi parler de forêt fraîche ?

Le jardin draine et recycle l’ensemble des eaux de pluie qui tombent sur la parcelle et sur les toitures.  Les bâtiments rejettent l’ensemble des eaux pluviales directement vers le jardin grâce à des gargouilles. Cette irrigation naturelle permet d’avoir une prairie mi sèche, mi humide selon les endroits et même une mare côté Seine surplombée par une passerelle en bois, en position de belvédère. S’ajoute à cela la strate arborée qui apporte de l’ombrage et de la fraîcheur. La présence de l’eau et de la végétation se combinent pour apporter de la fraîcheur et créer un microclimat propre au jardin. Une nouvelle de Jean Giono, « l’homme qui plantait des arbres », parle magnifiquement des liens qui s’établissent entre l’eau et la végétation pour revivifier une terre devenu aride. C’est l’histoire d’un berger des Alpes de Haute Provence qui consacre sa vie à planter des arbres dans une région pillée par les forestiers et dévastée par la sécheresse. Au bout d’un moment, à force de planter des arbres, l’eau revient dans la région.

Quel effet de rafraîchissement peut-on attendre dans les logements ?

En ville, il fait toujours quatre à cinq degrés de moins dans un parc bien ombragé, riche en différentes strates végétales. Les logements vont aussi en profiter, jusqu’à R+4. Mais à partir cinq étages, l’effet s’estompe, bien sûr…

Quel type d’animaux pourra-t-on y voir ?

La forêt, la prairie, la lisière, la mare devraient attirer naturellement une grande biodiversité. Les grenouilles, les reptiles viendront d’eux-mêmes s’installer dans la zone humide. Nous avons disposé dans toutes les strates de la végétation des abris destinés aux hérissons, aux insectes, à l’avifaune et aux chiroptères. Les terrasses inaccessibles serviront de refuge aux oiseaux migrateurs. La forêt fraîche va favoriser le développement d’un biotope à part entière, connecté aux espaces naturels voisins riches de la Seine. 

Comment sera entretenu cet espace ?

L’idée principale est de laisser la nature faire son travail. Nous avons donné un coup de pouce initial, à elle de jouer maintenant. Nous sommes aux antipodes du jardin classique harmonieux, domestiqué, conçu comme un refuge face à la « sauvagerie » de la nature. Un entretien minimal est donc prévu.  On laisse le cœur de la forêt tranquille, car il a vocation à devenir une « vraie » forêt. Et l’on fauche la zone de prairie deux fois par an. C’est important, car si on ne le fait pas, cet espace évoluera en forêt. Or la richesse de la biodiversité est renforcée par la diversité des milieux, forêt, lisière et prairie…

Existe-t-il des projets similaires, ou est-ce un projet véritablement unique ?

C’est très rare pour un paysagiste de pouvoir exprimer ainsi toutes les idées qui lui tiennent à cœur. C’est sans doute un peu pionnier, mais cette approche est dans l’air du temps et intéresse de plus en plus de monde. Quand j’ai débuté, le métier de paysagiste n’était guère valorisé, aujourd’hui, il est presqu’à la mode !

Parmi les inspirations, nous pouvons citer le projet de l’Île Derborence, un parc de huit hectares qui jouxte la gare TGV Lille Europe. On la doit au jardinier Gilles Clément. Dans les années 90, celui-ci a décidé de donner le jour à une forêt de 2500 m² perchée au-dessus de murs de plusieurs mètres. Contrairement à notre forêt fraîche, elle est entièrement inaccessible au public. Mais elle va dans le même sens : prouver que si on lui laisse de l’espace, le vivant peut retrouver sa place en ville. 

*  Association végétale spécifique que l’on retrouve aux abords des cours d’eau