« L’habitat partagé et accompagné pour personnes âgées suscite un intérêt croissant de la part des élus »

« L’habitat partagé et accompagné pour personnes âgées suscite un intérêt croissant de la part des élus »

Des petites unités de vie de huit à dix personnes, au cœur des villes, accompagnées par des aidants professionnels…Domani, partenaire de CDC Habitat, a créé une alternative aux Ehpad qui répond aux aspirations profondes de nos aînés. Un modèle qui a le vent en poupe, comme l’explique Oscar Lustin, cofondateur de l’entreprise agréée Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale, avec Jean de Miramon.

Oscar Lustin

Comment est né le projet Domani ?

Nous avons cofondé Domani en 2020 avec Jean de Miramon, après avoir travaillé dans l’hébergement d’urgence et l’investissement à impact.
Domani est née du souhait de proposer aux personnes âgées une alternative au maintien à domicile, à l’Ehpad et aux résidences seniors.

En quoi consiste cette alternative ?

Quand on interroge les personnes âgées, on s’aperçoit qu’elles souhaitent toutes majoritairement la même chose : rester chez elles, sans être seules. Nous avons donc conçu un modèle d’habitat partagé de type « familial », avec des petits lieux de vie pour 8 à 10 habitants qui bénéficient à la fois d’un espace privatif et d’espaces partagés, et d’un accompagnement adapté à leurs souhaits et à leurs besoins.

Quels sont les avantages, par rapport aux résidences seniors ?

Pour ceux qui connaissent un début de perte d’autonomie, Domani est une solution intéressante, pour une raison de taille. Une résidence seniors compte en général 80 à 100 personnes. Le restaurant est loin des chambres, il n’est pas facile de le rejoindre quand la mobilité est restreinte et qu’on se déplace en déambulateur. Domani correspond à un « entre deux » : des personnes qui ne sont pas autonomes à 100 %, mais qui ne sont pas non plus dépendantes au point de devoir rejoindre un Ehpad. La moyenne d’âge de nos habitants est de 88 ans. Certains sont d’ailleurs passés par une résidence seniors avant rejoindre l’habitat partagé Domani.

Comment vit-on dans une structure Domani ? Pourriez-vous décrire le quotidien des habitants ?

Chaque habitant dispose d’un espace privatif d’environ 30 m² avec chambre et salle de bain pour mettre ses meubles, recevoir sa famille… et en même temps d’espaces communs où il peut préparer et partager des repas. Les personnes âgées sont accompagnées par des professionnels aidants salariés de Domani, soit deux équivalents temps plein. C’est très sécurisant pour les habitants : ils sont équipés de bracelets en cas d’urgence et bénéficient d’une présence 24 h sur 24, grâce à un système d’astreinte. En moins de deux minutes, si besoin, ils peuvent être accompagnés.
C’est aussi un mode de vie très convivial où les personnes âgées restent maîtres de leurs désirs, de leurs envies. C’est d’ailleurs quelque chose qui surprend au départ les habitants.

C’est à dire ?

Dans un habitat partagé Domani, on vit vraiment avec les autres habitants, comme dans une colocation . Pour la nourriture, un système de livraison a été mis en place. Mais les habitants, s’ils le souhaitent, ont toujours la possibilité d’aller au marché pour choisir eux-mêmes leurs légumes. Pour les repas, chacun aide comme il peut et comme il veut. Ceux qui sont fatigués donnent leurs recettes, les autres sont au fourneau. Une fois par mois, on réalise le rêve de quelqu’un. C’est ainsi qu’un groupe de colocataires s’est retrouvé dans le bassin d’Arcachon pour manger des huîtres.
Cette ambiance quasi familiale est favorisée par le management assez innovant que nous avons mis en place pour les aidants. Il n’y a pas de hiérarchie, l’équipe est totalement autonome et fonctionne grâce à une boucle Whatsapp. Cela plaît beaucoup aux aidants et contribue sans doute à la réussite de ces petites unités de vie.

L’autre intérêt de Domani est la situation de cet habitat partagé, au cœur de la cité ?

Qui dit « habitat inclusif » dit en effet cœur de la cité. L’idéal type, c’est d’être sur la place du marché, au pied de l’église, et non pas en « troisième couronne ». Pas question de créer des « ghettos de vieux »! A Mimizan, par exemple, une unité que nous avons inauguré avec CDC Habitat en janvier 2023, nous sommes à deux pas de la promenade de bord de mer, en face du marché. Et ceci, dans un bâtiment qui accueille des logements « classiques », ou des colocations étudiantes dans certains cas, pour une réelle mixité générationnelle.

Ces petites structures correspondent clairement à un chaînon manquant entre l’Ehpad et le maintien à domicile, pourquoi ne sont-elles pas nées avant ?

Ce modèle d’habitat existait déjà, tout d’abord au Danemark et au Royaume-Uni, au Canada. Nous nous sommes d’ailleurs inspirés de ces expériences pour monter notre projet. En France, l’intérêt pour ces formules est venu plus tard. En 2018, la loi Elan a donné un cadre légal à l’habitat inclusif pour les personnes handicapées et les personnes âgées. Avant cette loi, les agences régionales de santé étaient en droit de fermer ces structures. Le rapport remis à l’été 2020 par Denis Piveteau et Jacques Wolfrom a joué aussi un rôle important en préconisant l’arrêt de construction des Ehpad et la construction de 150 000 places en habitat partagé à l’horizon 2020… Nous en sommes encore loin, avec 5 000 places aujourd’hui, mais la tendance est là. Les Ehpad vont de plus en plus se spécialiser dans la très grande dépendance et les autorisations de construction d’Ehpad se feront de plus en plus rares.

Quel est le coût d’une colocation chez Domani, par rapport à l’hébergement en Ehpad ?

A niveau de services équivalent, Domani coûte environ 20 % moins cher qu’un hébergement en Ehpad.

Où en êtes-vous dans votre développement et quel type de partenariat avez-vous noué avec CDC Habitat ?

Nous avons inauguré une première unité à Pessac, en 2021, puis une deuxième avec CDC Habitat au cœur de Mimizan Plage que j’ai déjà évoquée et nous avons actuellement cinq chantiers en cours. La Banque des Territoires a investi dans Domani dès son lancement et nous avons signé avec CDC Habitat un très beau partenariat pour 101 logements inclusifs d’ici 2024 répartis sur six communes en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie. Parallèlement, nous avons signé un protocole avec un « droit de premier ordre », c’est à dire que chaque fois que nous développons un projet, nous le proposons à CDC Habitat.
C’est un partenariat très fructueux, CDC Habitat nous accompagne dans le portage des murs et le développement territorial. Nous travaillons main dans la main avec ses directions interrégionales et allons voir les élus ensemble pour faire naître des projets associant du logement social, libre ou intermédiaire et un habitat partagé, pour assurer cette mixité intergénérationnelle que nous recherchons.

Constatez-vous un intérêt croissant des collectivités pour ce type d’habitat ?

Incontestablement, l’habitat inclusif intéresse de plus en plus d’élus. Ces derniers sont en première ligne et se posent beaucoup de questions sur le vieillissement de la population et le bien vieillir : qu’est-ce qu’on veut pour nos aînés ? Quelles solutions d’hébergement souhaite-t-on leur offrir ? Ils sont séduits par le côté innovation sociale de Domani et sont très rassurés par la présence d’un opérateur de l’habitat d’intérêt public de l’envergure de CDC Habitat. Ils n’ont pas envie de laisser ce sujet dans les mains d’opérateurs privés à 100 %.
La commune de Blagnac, par exemple, avait refusé des projets de résidences services seniors avant de choisir notre solution. Le maire de Saint-Denis-d’Oléron a contacté les équipes de la direction interrégionale Sud-Ouest de CDC Habitat parce qu’il était intéressé par cette alternative. De plus en plus de collectivités se tournent vers l’habitat inclusif et nous recevons beaucoup plus de sollicitations que nous ne l’avions imaginé. Passé le temps de la sidération, après les révélations du livre « Les fossoyeurs », les élus veulent passer à l’action et trouver des solutions concrètes.