« L’habitat inclusif, c’est inclure des logements adaptés pour que des personnes en situation de handicap vivent comme n’importe quel locataire »

« L’habitat inclusif, c’est inclure des logements adaptés pour que des personnes en situation de handicap vivent comme n’importe quel locataire »

Lydie Thévenin, directrice régionale handicap à la Mutualité Française Bourguignonne à Dijon, et Amélie Pillet, directrice de l’agence CDC Habitat de Quetigny, nous présentent Cœur de ville, une résidence conçue pour accueillir huit personnes en situation de handicap moteur. Une opération partenariale qu’elles ont porté avec beaucoup de conviction et d’engagement.

La résidence Cœur de Ville incarne de manière très concrète la volonté des partenaires – la commune de Quetigny, CDC Habitat, la Mutualité Française et le GIHP[1] – de favoriser la ville pour tous. Avec l’intention affirmée de s’appuyer sur cette expérience pour la développer et la dupliquer afin de répondre aux besoins de la métropole dijonnaise.

Comment fonctionne cette offre de logements inclusifs ?

Amélie Pillet : Il s’agit d’un immeuble neuf de 32 appartements conventionnels, et 8 appartements adaptés au handicap moteur lourd.  Comme pour toute la résidence, les critères d’attribution sont ceux d’un logement social. Concernant les huit logements adaptés, l’inclusion, l’autonomie et la sécurité des locataires sont renforcées par la présence permanente d’une personne qui assure un service de veille et de surveillance 24 heures sur 24 et qui bénéficie d’un local spécialement dédié. Ce service est directement financé par les bénéficiaires, qui pourront mutualiser leur prestation de compensation du handicap (PCH) à hauteur de trois heures par jour.

Lydie Thévenin : Lorsqu’on parle d’inclusion dans l’habitat, on commence par le type de handicap et non par la personne à la recherche d’un logement. Là, nous avons des locataires « lambda » avec leurs activités personnelles et leur vie, ils travaillent, font des études… Certes, ils sont en situation de handicap lourd, mais ils sont autonomes grâce à des aides individuelles, ils peuvent donc vivre dans un immeuble classique. Nous sommes vraiment dans une visée inclusive au sens strict du terme et chacun est libre de bénéficier ou pas de cette prestation de veille et de surveillance.

Qu’est-ce qui différencie un appartement classique d’un appartement adapté ?

AP : Chaque appartement a été conçu pour permettre le déplacement d’un fauteuil : des portes élargies et coulissantes, une salle de bain suffisamment grande et équipée de deux portes pour accueillir deux personnes et un fauteuil, puisque la plupart d’entre eux ont besoin d’être aidés, une douche à l’italienne, des seuils extra plats pour aller sur le balcon, la motorisation des portes fenêtres, des volets, des portes d’entrée de l’appartement et de l’immeuble.

LT : L’objectif était de construire des logements les plus ergonomiques possibles et de prévoir d’éventuelles adaptations personnalisées comme des prises électriques spécifiques dans la chambre pour le branchement d’appareils, des fourreaux pour passer les câbles… De plus, l’immeuble est très bien placé : médecins, pharmacies, commerces et transports sont au pied de la résidence. Cela signifie que l’implantation est elle-même garante de l’inclusion.   

Comment ce projet a-t-il été mis en place ?

AP : La mairie de Quetigny accompagne depuis longtemps des personnes en situation de handicap via l’enseignement d’activités sportives, l’emploi…, et elle avait envie de prolonger cette démarche par le logement. En 2016, elle nous a donc proposé ce projet, pour lequel nous avons voulu immédiatement trouver une solution. Le partenariat avec la Mutualité Française était tout aussi évident. Elle est très présente sur notre territoire et nous sommes déjà en intermédiation locative pour une cinquantaine de logements.

Nous avons également signé une assistance à maîtrise d’ouvrage avec le GIHP, le groupement pour l’insertion des personnes handicapées physiques, une association nationale. Le GIHP est l’initiateur du concept des unités de logements et service (ULS), des logements adaptés et domotisés associés à un service d’auxiliaires de vie qui assurent une présence constante. Nous sommes allés les visiter à Lyon, nous avons rencontré des locataires pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles ils avaient choisi de vivre dans ces résidences.

Ensemble, nous avons travaillé avec un panel de locataires potentiels afin de bien délimiter leurs contraintes et leurs attentes, tant en termes de logement que d’accompagnement.

LT : Un partenariat a été établi avec trois acteurs, la commune, le bailleur social et le gestionnaire du médico-social que nous sommes. Une configuration incontournable pour un tel projet. Nous avons la chance de nous connaître depuis longtemps, ce qui a facilité nos échanges : nous n’avons pas perdu de temps, il y avait un climat de confiance et la même volonté de répondre à des vrais besoins.   

Comment ce service de veille et d’assistance est-il financé ?

LT : Subventionner un service de veille et de surveillance 24 heures sur 24 par une partie de la PCH[2] ne sera sans doute pas suffisant. Il représente l’embauche de trois personnes, donc une masse salariale incompressible. Mais nous prenons ce risque car la Mutualité Française souhaite vraiment développer ces aides auprès des personnes en situation de handicap qui ont des besoins et des souhaits d’accès à une vie autonome dans leur propre domicile.

Nous espérons compenser une partie de cette perte financière en proposant à l’ensemble des locataires de l’immeuble des services comme des aides pour le ménage, les courses ou le repassage qui pourront être effectuées par ce service.

Quels ont été les points positifs que vous avez découverts en travaillant sur ce projet ?

AP : Le fait de définir en amont les besoins, penser aux besoins réels des habitants et co-construire… Et puis j’ai beaucoup appris, à titre personnel et professionnel, sur le monde du handicap. On le rencontre dans le logement social, mais pas d’une manière aussi précise. Je me suis aussi rendue compte de la difficulté parfois à accéder à un logement. CDC Habitat doit continuer d’essayer de construire de nouveaux modes d’habiter…

LT : La richesse est partenariale. Aucun des acteurs ne s’est retiré. L’engagement a été entier, du premier jour jusqu’à présent, avec des échanges toujours instructifs et un partage d’expériences et d’expertises. Il y avait beaucoup de respect dans cette co-construction.

S’il y a un écueil, c’est le temps qu’il a fallu – cinq ans – nécessaire pour tout mettre en place au plus près des besoins, et la difficulté du montage financier.

Car nous prenons tous un risque, c’est certain.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

AP : Quatre logements sont attribués à des jeunes gens de moins de 30 ans qui vivaient encore chez leurs parents. Il faut comprendre qu’il s’agit d’un processus assez long, qui génère beaucoup d’angoisse de la part des familles. Elles doivent laisser partir leur enfant. Il s’agit d’un envol, et l’envol est fait d’incertitudes et parfois de peur, même lorsqu’il n’y a pas de handicap. De nombreuses questions sont inhérentes à cette toute nouvelle indépendance. Il s’agit d’une étape très importante de leur vie, qui doit être accompagnée par des experts du handicap comme la Mutualité Française.

Cette résidence est un exemple qui, nous l’espérons, réussira et pourra être reproduite là où sont les besoins et les attentes, dans un projet intégrant les locataires dans un comité de pilotage pour faire évoluer le modèle. J’espère vraiment que nous pourrons progresser ainsi.

La prestation de compensation du handicap (PCH)

La prestation de compensation du handicap (PCH) est une aide financière et individuelle versée par le département via une instance de la Maison départementale des personnes à handicap (MDPH). Il s’agit d’un remboursement des dépenses liées à la perte d’autonomie en fonction des besoins : assistance humaine et/ou technique, aménagement du logement, transport, aide spécifique ou exceptionnelle, aide animalière. Le montant de la PCH est fixé au niveau national, il s’impose donc à tous les départements. Ils ont toutefois le droit de le déplafonner en proposant une aide plus importante (ce n’est pas le cas en Côte d’Or).

La PCH existe depuis la loi de 2005 qui a permis une grande révolution dans le domaine du handicap et de l’inclusion : la société doit désormais s’adapter au handicap et non l’inverse. Elle est complémentaire à l’allocation aux adultes handicapés (AAH), un revenu mensuel qui leur permet de compléter leurs ressources pour garantir un revenu minimal.

En 2017, a été votée la possibilité pour la personne de mutualiser une partie de sa PCH dans le cadre d’un projet partagé d’habitat. Elle peut donc mettre au profit du collectif des aides qui ne lui sont pas strictement personnelles, comme les services d’assistance, d’aide et de surveillance.

Dans le cadre de la résidence Cœur de ville, les locataires peuvent donc faire le choix de partager ces trois heures avec le collectif de la résidence.