Les maisons partagées : entre vie indépendante, logement accompagné et inclusion sociale

Les maisons partagées : entre vie indépendante, logement accompagné et inclusion sociale

La Civelière, un lieu de vie pour des personnes devenues handicapées après un accident. Trois maisons partagées où chacun est autonome et où tous partagent une vie communautaire et active. François-Xavier Reneaume, membre bénévole du conseil d’administration et de la commission construction de l’association Simon de Cyrène[1], Pierrick Tigeot, architecte bénévole de l’association Thétis[2], Thierry Le Dauphin, directeur développement et maîtrise d’ouvrage CDC Habitat Grand Ouest, reviennent pour nous sur ce projet qu’ils ont bâti ensemble à Nantes…

Un jour de 2011, Pierrick Tigeot rencontre Laurent de Cherisey, directeur général de l’association Simon de Cyrène, venu présenter des maisons partagées. Celles-ci ont été créées pour rompre l’isolement des personnes touchées par le handicap, suite à un accident de la route ou un accident cérébral. Ces maisons ont comme objectif d’accompagner ces personnes dans un projet de vie où elles gagnent en autonomie.

Lors de leur échange, P. Tigeot se souvient soudain d’un bâtiment sans affectation, propriété de l’association Thétis qui pourrait être une belle opportunité pour développer un tel projet.

Mais un lieu ne suffit pas. Il faut aussi en écrire l’histoire… Alors un comité de pilotage se constitue pour imaginer un projet, un endroit où vivront, ensemble, des personnes valides (assistants de vie et volontaires en service civique) et des personnes en situation de handap.  

Neuf ans plus tard, la Civelière ouvre les portes de ses trois maisons qui ont la capacité d’accueillir vingt-quatre résidents et dix-huit accompagnants. Certains ont des difficultés d’expression, d’autres des difficultés motrices, des problèmes cognitifs, de mémoire… Autonomes et indépendants, ils partagent quotidiennement de nombreuses activités grâce à un GEM, un groupe d’entraide mutuelle[3].

« Le but premier de ce lieu de vie, c’est que chacun ne reste pas dans son logement. Le séjour et la cuisine sont des lieux de retrouvailles permanents, comme dans une maison. »  

François-Xavier Reneaume

Comment avez-vous initié et réalisé ce projet ?

François-Xavier Reneaume : Au départ, nous connaissions peu de choses sur les sujets du handicap. Nous nous sommes donc beaucoup appuyés sur l’expérience de l’association Simon de Cyrène. Cette expérience nous a démontré l’importance de constituer un groupe de réflexion avant même de démarrer le projet immobilier. Le principe de ce groupe est d’associer des personnes en situation de handicap mais aussi des personnes valides et autonomes, non concernées par le handicap dans leur environnement proche qu’il soit familial ou amical. L’enjeu de départ était donc de mieux se connaître et de passer du temps ensemble. L’aventure a commencé comme cela en partageant un après-midi convivial en louant un local pour l’occasion. Au début, nous n’étions pas très sûrs de la démarche. Mais très rapidement, ce groupe s’est agrandi pour devenir progressivement le GEM, le groupe d’Entraide Mutuelle, à l’origine du projet des Maisons Partagées de la Civelière.

Pierrick Tigeot : La Civelière est une ancienne pouponnière dont nous souhaitions conserver les bâtiments. Malheureusement, reconsidérer l’existant et le transformer coûte très cher, sans apporter de réponse satisfaisante. Nous les avons donc presque tous détruits, excepté un petit château classé au patrimoine historique, sur lequel nous avons greffé de nouveaux bâtiments dans l’objectif d’avoir un projet architectural cohérent et qualitatif.

FXD : Il était très important pour Simon de Cyrène de ne pas fonder un établissement médico-social classique avec des matériaux bas de gamme. Nous voulions du bois, des belles matières… La Civelière allait devenir le lieu de vie de personnes qui ont suffisamment souffert, et nous voulions leur donner le meilleur en termes de qualité de vie.

Sauf qu’il y avait un budget à respecter. C’est pourquoi nous avons recherché des mécènes, qui nous ont permis d’aménager les ouvertures en aluminium plutôt qu’en PVC, des rampes et des cuisines en bois. J’avoue que cela n’a pas simplifié le chantier pour CDC Habitat. Nous avons beaucoup travaillé ensemble pour respecter le budget fixé au départ, les contraintes techniques et la beauté du lieu.

FXD Il était important pour l’association Simon de Cyrène de proposer une architecture de qualité avec de belles prestations et des matériaux haut de gamme. Nous voulions du bois, des menuiseries alu… Nous ne voulions pas stigmatiser l’architecture à l’instar d’établissement médico sociaux que l’on peut connaître par ailleurs. Les personnes accueillies, qui ont suffisamment souffert, méritent le meilleur en terme de cadre de vie.  Cette exigence de qualité a un coût. C’est pourquoi nous avons recherché des mécènes pour nous apporter un soutien financier. Ce cahier des charges n’était pas simple mais a bien été intégré par CDC Habitat à qui nous avons confié le projet de construction. Nous avons beaucoup travaillé ensemble pour répondre à toutes les exigences tout en respectant les contraintes financières et techniques et la bonne intégration dans un cadre paysager arboré.

« La Civelière se trouve à proximité des transports en commun qui permettent aussi aux personnes en fauteuil de filer vers le centre ville, et elles y vont ! » 

Pierrick Tigeot 

Thierry Le Dauphin : En tant qu’opérateur en charge de la construction, nous avons eu à cœur de participer à ce projet et de le rendre possible malgré sa complexité et ses fortes attentes. CDC Habitat a l’habitude d’accompagner des associations pour mener à bien leur projet immobilier. Cela représente un investissement certain, financier certes mais avant tout humain. Nos équipes ont été très mobilisées et sont adaptées dans cette conduite de projet peu commune avec beaucoup de concertation. Cela a été un travail très enrichissant.

Nous avions effectivement toujours cette épée de Damoclès du bilan économique de l’opération, avec des choix techniques et des enveloppes financières à respecter. Mais nous avons réussi à nous adapter et à être créatifs pour intégrer un certain nombre de besoins et de souhaits de l’association, car notre objectif était commun : réussir ce projet d’habitat inclusif. 

FXR : Le bâtiment et les espaces intérieurs doivent respecter strictement les règles d’accessibilité handicapée. C’est une obligation. En parallèle, nous avions une certaine liberté sur la façon d’organiser les espaces et le mobilier en fonction des usages attendus et du niveau de handicap des personnes. Cette conception personnalisée a été enrichie par la présence dans le Groupe GEM d’une personne en situation d’handicap (appelée Compagnon). Cet homme a pu en effet partager son expérience de professionnel du bâtiment, profession qu’il exerçait avant son accident et la survenue de son handicap.

Par exemple, chaque maison possède une salle commune avec une cuisine et son plan de travail qui doit convenir aux personnes debout et en fauteuil. Nous avons donc réalisé des plans de travail différenciés. Certains peuvent ouvrir les portes, d’autres ne peuvent pas se servir de leurs mains : pour eux, les portes communes ont été automatisées. De la même manière, certains logements sont très adaptés et d’autres proposent des équipements moins lourds. 

TLD : Les espaces sont bien dimensionnés. La lumière naturelle rend les déplacements agréables. Chaque maison comprend plusieurs logements et se démarque par le traitement de ses propres espaces communs. Mais il est possible de circuler entre les maisons de manière très aisée par des circulations internes très bien pensées. Nous avons également été attentifs dès le départ à l’utilisation de certains systèmes domotisés qui peuvent être assez complexes. Il a fallu au départ accompagner les résidents pour leur utilisation. Certains ont eu besoin d’un peu de temps pour se les approprier.

PYT : En fait, c’était une aventure un peu folle ! C’était un peu compliqué au début, et puis chacun a fait appel à des amis et nous nous sommes rapidement retrouvés une trentaine, chacun avec ses compétences et sa bonne volonté. Il y a eu une forte dynamique et tout le monde était dans l’envie de réussir, les enjeux étaient trop importants. Le résultat est là, les lieux et les matériaux sont beaux, c’est précieux pour l’ambiance. D’ailleurs, ce groupe continue d’agir parce que c’est enrichissant et finalement très concret et utile.

« Développer un tel projet nécessite d’être plus créatif que pour un bâtiment classique
car les contraintes sont bien plus importantes. »

Thierry Le Dauphin

Quelle est la vie au quotidien pour les résidents ?

FXR : Les personnes en situation de handicap sont bien intégrées et ont des activités partagées avec l’ensemble des résidents. Elles ont des loisirs : sport, musique, arts/peinture. Certaines d’entre elles exercent une activité professionnelle. Elles vivaient auparavant au sein de centres médico sociaux où les possibilités de vivre en plus grande autonomie étaient restreintes en raison des services d’accompagnement et d’assistance très présents.

Cela ne se passe pas ainsi à la Civelière. Au sein des maisons partagées, tout est pensé pour que ces personnes fassent elles-mêmes sans difficulté majeure. La semaine dernière, je déjeunais avec eux et tout d’un coup, j’ai vu une assiette voler parce que celui qui mettait le couvert ne maîtrisait pas ses mains. Chacun fait comme il peut avec ses moyens. Et quand il ne peut vraiment pas, nous l’aidons. 

Chaque maison a son responsable de maison, une personne valide dont le rôle est très important. Ici, ce sont trois femmes, qui coordonnent ainsi la vie des maisons et les responsabilités de chacun des résidents. Elles ajustent les besoins de prise en charge, elles sont très sollicitées, et elles sont soutenues et aidées par les assistants et les services civiques. Certains vivent sur place, d’autres à l’extérieur. C’est d’ailleurs assez amusant car ce sont les habitants handicapés qui donnent l’impulsion et forment les assistants, puisque de nouveaux arrivent tous les six mois, notamment dans le cadre du service civique.

PYT : Au début du projet, des riverains ont menacé de faire un recours, ça s’est joué de peu. Ils nous demandaient de ne pas utiliser un passage, ils pensaient qu’il y aurait un trafic intense. C’est une ville paisible. Et puis la première chose que Jean-Luc Boulvert, le directeur, a instaurée, c’est de ne pas fermer les barrières pour que les gens du quartier puissent traverser le parc qui est assez joli. Certains se sont arrêtés prendre un café, maintenant ils viennent rendre régulièrement des services…

PYT : Lors de la conception du projet, des riverains ont menacé de faire un recours pour éviter que le projet ne sorte de terre. Ils craignaient en effet une augmentation du trafic et la condamnation du passage qu’ils utilisaient régulièrement. La première chose que Jean-Luc Boulvert, le directeur, a instaurée, c’est de ne pas fermer les barrières pour que les habitants du quartier puissent continuer à traverser le parc qui est assez joli. A cette occasion, certains se sont arrêtés prendre un café, maintenant ils viennent rendre régulièrement des services…

Comment est-il possible d’intégrer une maison partagée ?

PYT : Le projet est destiné aux personnes cérébrolésées, des personnes qui vivent avec un handicap survenu à la suite d’un accident de la route par exemple ou suite à une rupture vasculaire cérébrale. Ces personnes ne sont pas nées avec ce handicap et ont connu une vie « normale ». Soudainement, leur vie a pris un autre tournant. Les maisons partagées sont là pour les accueillir, les rendre autonomes et les rassurer, elles et leur famille.

FXR : Dans un premier temps, une commission spéciale examine les dossiers sur la base de multiples critères très pointus. Il y a ensuite une période d’essai d’une semaine qui, si elle est concluante, est prolongée d’une période d’adaptation de trois semaines. Enfin, si cela s’est bien passé, la personne intègre la maison. Il faut bien prendre conscience qu’il s’agit d’une vie communautaire, avec des femmes, des hommes, de 20 à 45 ans en moyenne et que chacun a son handicap et son caractère. Ce système fonctionne finalement très bien, puisque nul n’est encore parti !

Malheureusement, beaucoup de demandes ne sont pas satisfaites. Nous envisageons de construire une autre maison…

FXR : Il faut également préciser que l’état d’esprit de l’association et de ces lieux partagés, c’est la bienveillance. C’est assez remarquable. À nous d’en être les gardiens, de nous assurer que cette bienveillance continue…

PYT: Cela fait maintenant dix ans que je participe à ce projet. Et je vois des petits miracles au quotidien. Cela pourrait être explosif, monotone, désespérant. Évidemment, il faut souvent soutenir les habitants. Mais ils ont ce sentiment d’appartenance à une petite collectivité, il y a vraiment beaucoup d’énergie positive et de bienveillance.

La Civelière, c’est…

  • 24 logements pour des personnes en situation de handicap
  • 17 logements pour les personnes qui les accompagnent : assistants et responsables d’appartements
  • Répartis en trois maisons ou appartements de 13 ou 15 logements chacun
  • Chaque maisonnée possède une grande pièce commune avec salon, cuisine et coin repas

Ces pièces communes ouvrent sur une terrasse de plein pied et sur le parc.

Le loyer, la nourriture et le salaire du responsable de la maison sont à la charge des résidents. Ils peuvent les couvrir grâce à leurs allocations sociales et à la prestation de compensation du handicap (PCH) qu’ils sont tenus de mutualiser.


[1] L’association Simon de Cyrène crée et anime des maisons partagées entre personnes valides et personnes en situation de handicap suite à un accident grave. Dans ces lieux de vie communautaires, chacun dispose de son studio afin de pouvoir vivre chez soi sans être seul.  

[2] L’association Thétis accompagne et soutient financièrement les projets innovants qui permettront l’intégration des enfants et adolescents souffrant d’atteintes à leur intégrité physique ou mentale ou de handicap.

[3] Les groupes d’entraide mutuelles (GEM) sont des associations portées par et pour des usagers en santé mentale ; ils reposent sur le principe de pair-aidance. Souvent implantés au cœur de la ville, ils permettent de se retrouver, de s’entraider, d’organiser des activités visant au développement personnel, de passer des moments conviviaux, de créer des liens et de lutter contre l’isolement.