« Avec Toutes Habitantes, nous valorisons les femmes en tant qu’expertes de leur logement »

La journée internationale des droits des femmes est l’occasion de valoriser l’investissement de femmes, locataire ou collaboratrice, engagées au sein d’associations, collectifs ou démarches solidaires, notamment durant la crise sanitaire.

Rencontre avec Anne Canova, directrice régionale Auvergne-Rhône-Alpes, engagée personnellement dans l’association Toutes Habitantes, un collectif de femmes de la région lyonnaise travaillant dans le secteur du logement.

Comment est née l’association ?

Toutes Habitantes est née lors du festival international du logement social, en juin 2019, à Lyon. Nous nous sommes réunies, entre professionnelles de l’habitat avec des compétences pluridisciplinaires, pour proposer une réflexion autour de l’intégration du genre dans le logement. Nous avons souhaité rencontrer celles qui étaient, pour nous, les expertes du logement dans leurs quartiers. Elles endossent chaque jour, comme nous toutes, de multiples rôles : mère, ménagère, travailleuse, femme en recherche d’emploi. Comprendre les usages des femmes au sein du parc social était notre motivation.

Quel est le principe de votre action ?

Notre projet a été pensé comme une expérience d’innovation sociale. Nous faisons se rencontrer des femmes et les invitons à échanger sur leur rapport au logement. Aussi souhaitons-nous développer la conscience des professionnels vis-à-vis des habitantes pour mieux identifier les besoins de celles-ci. Dans cette démarche de co-construction, il s’agit de questionner les nouvelles tendances en termes d’habitat, de les confronter aux usages et aux besoins.

Notre principe de fond est d’entendre la parole des femmes, et donc, quelque part, de la libérer. Notre méthodologie d’écoute, c’est le moyen de valoriser les femmes en tant qu’expertes de leur logement et de leur quotidien.

Notre réflexion s’est clarifiée au cours de nos travaux sur l’impact de la non-mixité en matière d’émancipation. En la prenant comme un moyen, étant entendu que cette non-mixité n’est pas l’objectif à terme.

Pouvez-vous nous expliquer votre approche du genre ?

Notre réflexion « Genre et Logement » est un peu l’extension des travaux, désormais assez nombreux, sur la place des femmes dans l’espace public, avec le constat de projets construits par et pour des hommes. On peut regarder l’histoire de l’architecture, notamment le modernisme du 20ème siècle. Il a eu, en matière d’urbanisme, des effets très durs de ségrégation des populations féminines. Qui, peu motorisées, recluses dans des quartiers mal reliés aux villes-centres, se sont un peu vu assigner à résidence. Je fais référence à la Charte d’Athènes et au fonctionnalisme. Celui-ci a finalement conçu la ville pour des hommes qui travaillaient et se déplaçaient en voiture.

Comment ces travaux se transposent-ils dans votre quotidien au travail ?

La transposition, dans mon métier, est assez aisée. Elle se traduit, par exemple, par des dispositifs de concertation lors de nos futures réhabilitations. Je pense notamment à notre opération à L’Arlequin, à Grenoble, où j’aimerais bien mettre en place une concertation ciblée avec les femmes du quartier, mais également les enfants, et des prestataires sensibles à cette question. On peut aussi imaginer des visites exploratoires avec des habitantes dans certaines résidences pour s’enrichir de leur regard particulier, y compris sur des questions de gestion du quotidien. Par ailleurs, avec Toutes Habitantes, nous échangeons sur la possibilité de mener des ateliers avec des collaboratrices de CDC Habitat.

Avec la pandémie, de belles initiatives, souvent portées par des femmes, ont émergé. Peut-on dire que la gestion de crise est genrée ?

On peut d’emblée dire que la crise sanitaire touche plus durement les femmes. Cela est assez documenté. Elles sont plus concernées par les métiers précaires (donc par la perte d’emploi), sont surreprésentées dans le tertiaire (donc plus exposées au risque). Aussi, les périodes de confinement confrontent davantage les femmes à la question des tâches ménagères, du soin des enfants, du suivi scolaire, de la charge mentale dans son ensemble. Autant de contraintes ayant rendu le télétravail plus compliqué pour elles. On pense aussi aux violences intrafamiliales, qui ont pu être exacerbées dans un contexte de santé mentale fragilisée. Dès lors, il n’est pas très étonnant de constater que la gestion de crise est prise en main par les femmes. D’ailleurs, malgré la crise et les contraintes de distanciation, nombreuses ont été les initiatives proposées par les associations, féministes notamment, pour marquer ce 8 mars.